Née à Alep (Syrie) en 1978, Ola Abdallah passe les sept premières années de son enfance à Paris. C’est en Syrie qu’elle entame en 1996 sa formation artistique à la Faculté des Beaux-Arts de Damas jusqu’en 2000. En 1998 elle visite et travaille dans les ateliers de peinture à l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris.
En 2001 elle s’inscrit au département d’Arts plastiques de l’Université de Paris 8 pour approfondir ses connaissances théoriques en art, elle obtient un doctorat en 2008 pour sa thèse sur l’artiste française Aurélie Nemours.
Ola Abdallah poursuit en parallèle à la recherche théorique sa recherche plastique, sa pratique s’inscrit dans la continuité de ses débuts en Syrie.
C’est la lumière de la Syrie ainsi que ses paysages qui ont favorisé le désir de devenir peintre mais aussi l’observation du travail méticuleux des artisans du pays. En Europe, c’est la fréquentation des musées, des expositions, les rencontres avec de nombreux artistes qui enrichissent son travail. Elle nous propose une peinture abstraite qui interroge la couleur, la matière et l’espace, Ola Abdallah vit et travaille à Paris.
Interview réalisé par Guyonne De Montjou
Vous êtes peintre et syrienne…
Oui. Je suis née à Alep, l’une des plus anciennes villes du monde, il y a 31 ans. Peu après ma naissance, mon père obtient une bourse pour faire son doctorat qui nous emmène à Paris durant 7 années : tandis qu’il apprend les langues anciennes de la Mésopotamie à la Sorbonne, maman étudie la psychanalyse à Paris VII et moi, j’emmagasine des impressions de Paris ! J’ai un frère qui naît dans ces années là. Lorsque j’ai 8 ans, nous repartons tous en Syrie, à Damas… et là, je me souviens, je ressens un grand choc !
Vous vous sentez alors comme exilée dans votre propre pays ?
A 8 ans, j’ai compris que j’avais fait un saut dans le temps : Je me souviens que, quelques jours après mon arrivée, je me suis fait renverser par un âne dans le souk de Damas ! Dès lors j’ai commencé par rejeter la vie orientale avant de, à l’adolescence, m’y plaire franchement.
Par où votre « renaissance orientale » a-t-elle commencé ?
Par la découverte de l’histoire et la découverte de la beauté des sites archéologiques notamment. J’ai pris conscience des racines extraordinaires qu’ont les peuples d’Orient, si profondes et riches. Et puis, la lumière de cette région m’a happée !
Comment était la vie, chez vous ?
Notre maison ressemblait à une auberge espagnole : tout le monde passait : cousins, amis, élèves, artistes de tous les horizons… Ils étaient attirés par le vent de liberté qui soufflait chez nous : ma mère était la première femme psychanalyste du pays. Elle avait ouvert son cabinet au fond de l’appartement. Elle avait voulu se mettre, d’une certaine manière, au service du développement de son pays en aidant les mentalités à évoluer, une par une, les âmes à s’épanouir.
Quand commencez-vous à peindre ?
Je suis initiée à la peinture, au dessin, à la matière, à tout ce qui est, en fait, création, confection, broderie par ma mère qui était très inventive : elle a toujours eu quelque chose entre les mains, que ce soit un tricot ou une carotte à peler ! Alors dès mon plus jeune âge, j’ai pris un crayon puis des pinceaux. Cela m’a semblé naturel et mes deux parents étaient d’accord sur le fait qu’il fallait entretenir ce penchant artistique.
Que recherchiez-vous en peignant ?
La couleur juste et l’équilibre dans l’espace du tableau. Je pense que la lumière de Syrie m’a éduquée à la couleur, en quelque sorte. Car vous avez là une lumière qui peut être tantôt caressante, tantôt écrasante, en fonction des heures de la journée. Vers 18h, par exemple, une espèce de voile se répand sur la ville… c’est l’heure que je préfère.
Quelles sont les couleurs qui priment dans cet Orient là ?
Les couleurs maîtresses sont l’ocre, les marrons, le doré. La matière est soit le désert, le sable soit l’eau : sur la côte méditerranéenne ou dans le nord de la Syrie, c’est flamboyant : les champs de blé et de coton sont verts fluo au printemps, les maisons en terre cuite sont marron et le ciel et la mer sont bleus. Trois couleurs, trois lignes à l’horizon. Un tableau épuré, naturel. Et puis soudain, une paysanne surgit, avec des habits aux tons délirants et chatoyants : fuchsia, rouge, jaune… Et le paysage s’en trouve rehaussé.
Votre peinture est abstraite mais on devine quelques paysannes dans vos tableaux…
Je trace des lignes à la main et je glisse le chatoiement à l’intérieur, par la couleur. J’ai commencé par peindre à l’huile, à l’encre, à l’aquarelle, à l’acrylique, aux pastels et peu à peu, comme l’odeur des peintures à l’huiles me gênait pour vivre –car mon atelier était également ma chambre !- j’ai renoncé à ce matériau et ai opté pour les peintures à l’eau, en particulier les encres et les pigments que je mélange avec des colles inodores.
Vous travaillez beaucoup à l’encre de chine colorée, pourquoi ce choix ?
Parce que c’est celui qui s’harmonise le mieux avec mon papier préféré : le papier de riz marouflé sur bois. Celui-ci donne de la profondeur au rythme et aux lignes du pinceau que je trace à main levée, en contrôlant mon geste. Il me permet aussi de travailler la transparence et donc l’espace. En revanche, avec la couleur, je ne maîtrise rien : au début j’agglutine une forme un peu primaire, type rectangle ou carré, une forme souvent floue avec des pigments colorés et dorés que je mélange avec des colles ; cela crée une surface opaque et ensuite je la contourne toujours avec un dégradé de la couleur que j’ai choisi. L’encre réagit avec les pigments et cela produit des fusions de couleurs dans tous les sens, la réaction chimique est assez étonnante. C’est seulement après que je recouvre cette base « folle » avec des lignes et que je travaille avec la transparence que m’offre l’encre. Je veux trouver, à la fin, l’unité du tableau.
Avez-vous eu des maîtres ?
On a toujours des modèles, au début je me suis beaucoup inspirée de Braque, Kandinsky, Klee, Delaunay. Ce sont des artistes que j’ai connus à travers les livres que l’on m’offrait, lorsque j’habitais la Syrie. A 20 ans, quand je suis venue en visite à Paris durant ma deuxième année aux beaux arts de Damas, j’ai alors arpenté les musées, découvrant de nouvelles gammes d’artistes et j’ai compris qu’après Paris il y avait New York, j’ai surtout pu me faire ma propre opinion sur la peinture en regardant les vrais tableaux…
Aujourd’hui, vous êtes installée définitivement à Paris…
Je ne peux pas affirmer que c’est définitif, je vis à Paris depuis 2001 et je me suis mariée à un Français l’année dernière, mais le monde est vaste et nous sommes tous les deux mobiles ! Côté académique, je viens de terminer ma thèse sur Aurélie Nemours, que j’ai découverte grâce à un sujet de recherche sur « Peinture et carré : une trajectoire dans l’abstraction » : comment une simple forme comme le carré peut servir de support génial au travail de la couleur ? Dans ma pratique artistique ces derniers temps j’ai souvent travaillé des séries : je peux travailler sur 20 tableaux en même temps… je sors de mes séances de peinture épuisée, vidée, souvent.
Pensez-vous produire une peinture politique ?
Je suis complètement apolitique, il n’y a aucun message dans mes peintures. J’expose là où l’on m’invite, ce sont mes relations affectives qui me guident. Il doit y avoir, dans mon travail, une certaine forme de spiritualité, beaucoup de méditation, je réfléchis beaucoup avant de faire un geste parce que je sais que celui-ci est irrémédiable, mais j’accepte aussi l’erreur parce que je sais que je peux indéfiniment recommencer, ce n’est qu’une surface blanche ! Peindre reste, pour moi, un acte joyeux.